H. Mabika Ognandzi: Médicaliser l’Afrique

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Titel
Médicaliser l’Afrique. Enjeux, processus et stratégies d’introduction de la médecine occidentale au Gabon (XIXe–XXe siècles)


Erschienen
Paris 2017: L’Harmattan
Anzahl Seiten
304 S.
von
Marie-Luce Desgrandchamps

Publié en 2017 aux éditions de L’Harmattan dans la collection «Racisme et eugénisme», l’ouvrage d’Hines Mabika Ognandzi propose une analyse de l’introduction de la médecine occidentale au Gabon entre la deuxième moitié du XIXe siècle et le dernier quart du Xxe siècle. Spécialiste d’histoire de la médecine et de la santé, l’auteur s’est plus particulièrement intéressé ces dernières années à l’hôpital fondé par Albert Schweitzer à Lambarané, auquel il a consacré un vaste projet de recherche entre 2014 et 2017, qui a notamment donné lieu à la publication d’une monographie sur Walter Munz (2019) – le successeur de Schweitzer – et d’un ouvrage collectif sur les principes éthiques d’Albert Schweitzer en Afrique (2018).

Issu de sa thèse de doctorat soutenue en 2012, le livre recensé ici s’inscrit dans le développement des travaux sur la médecine coloniale et sur les rapports entre pouvoir et santé sur le continent africain1, appréhendés dans leurs dimensions impériales ou internationales2. À partir du cas du Gabon, l’historien expose la façon dont la médecine occidentale s’est progressivement ancrée au sein du territoire. Il rappelle à la fois ses origines et fonctions, avant de mettre en lumière son évolution et sa progressive adaptation aux conditions locales.
Organisée de façon chronologique, la démonstration s’articule en six chapitres. Le premier dépeint le contexte humain, géographique et pathologique dans lequel la médecine occidentale est introduite au Gabon au XIXe siècle. L’auteur présente dans un deuxième chapitre les modes traditionnels de prise en charge des maladies, en insistant sur la conception holistique des processus de soins. Il rappelle ainsi l’importance des pratiques préexistantes à l’irruption de la médecine occidentale sur le territoire et montre en quoi ces conceptions s’influencèrent mutuellement. Le troisième chapitre détermine une première période de transfert du modèle français d’organisation médicale, allant de la deuxième moitié du XIXe siècle à 1920 et fortement marquée par la médecine navale. La présence de navires-hôpitaux sur la côte de Libreville contribua en effet à faire des structures hospitalières le cadre principal de l’offre de santé au Gabon et nourrit, dans une certaine mesure, les résistances des populations locales vis-à-vis de la médecine occidentale. Il fallut attendre le tournant du siècle pour que cette dernière se déplace sur la terre ferme, avec la construction d’un hôpital à Libreville en 1896. Toutefois, ce modèle centré sur l’hôpital montra rapidement ses limites et fut réadapté dans la période qui suivit la Première Guerre mondiale (chapitre 4). Il s’agissait alors pour le colonisateur français d’accroître son emprise – non seulement administrative et économique, mais également sociale et morale – sur l’intérieur du territoire et de la population, ce qui conduisit au développement de nouvelles pratiques médicales (Assistance médicale indigène et médecine itinérante, par exemple). Hines Mabika Ognandzi met particulièrement en lumière ici le rôle crucial joué par les médecins coloniaux qui oeuvrèrent à la fois à l’adaptation de la médecine occidentale au contexte gabonais, à l’amélioration de la santé des populations et au contrôle du territoire.3 Cette évolution s’accentua après la Seconde Guerre mondiale dans le contexte de ce que nombre d’historiens ont appelé la «seconde occupation coloniale» (chapitre 5). À la différence des années 1920–1930, des moyens furent cette fois mis à disposition de la diffusion de la médecine occidentale au sein de la colonie, ce qui permit la modernisation et la standardisation des hôpitaux et des dispensaires. Cartes, chiffres et photographies à l’appui, l’auteur montre en outre comment cette pénétration se matérialisa par un maillage plus serré du territoire par les infrastructures de santé, ainsi que par le développement de services d’hygiène mobiles. Enfin, le chapitre 6 traite de la période de l’indépendance et de la façon dont le gouvernement gabonais s’est progressivement réapproprié le système mis en place durant la période coloniale, non sans ambivalences.

Fondé sur un vaste corpus de sources coloniales, enrichi par quelques entretiens avec des praticiens de santé et des documents d’archives de l’État gabonais, l’ouvrage dresse une belle fresque des enjeux et des ambiguïtés – voire des errements – qui ont accompagné l’introduction de la médecine occidentale au Gabon au XIXe et XXe siècles. Hines Mabika Ognandzi inscrit habilement cette étude de cas dans une histoire plus large de la colonisation ainsi que des circulations des savoirs et des pratiques médicales. Si le livre est tout à fait à la hauteur des ambitions présentées dans l’introduction, on aurait souhaité en savoir encore un peu plus sur certains aspects. Ainsi, la question de la réception de la médecine occidentale sur place et des résistances qu’elle a suscitées aurait pu être approfondie sur l’ensemble de la période. Il en va de même en ce qui concerne l’hybridation des savoirs entre processus de soin occidentaux et processus de soin traditionnels. Si ces enjeux sont évoqués au fil des pages, ils auraient parfois pu être mis en lumière plus spécifiquement grâce à quelques exemples précis ou études de cas supplémentaires.

Notes
1 Megan Vaughan, Curing their Ills. Colonial Power and African Illness, Cambridge 1991; Nancy Rose Hunt, A Colonial Lexicon of Birth, Ritual, Medicalization and Mobility in the Congo, Durham 1999. Voir aussi les travaux plus récents de Claire Fredj, «Et il les envoya prêcher le royaume de Dieu et guérir les malades …» (Luc, IX, 2). Soigner les populations au Sahara: l’hôpital mixte de Ghardaïa (1895–1910), in: Histoire et missions chrétiennes, 22/n82 (2012), pp. 55–89; Guillaume Lachenal, Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies, Paris 2014.
2 Jessica Lynne Pearson, The Colonial Politics of Global Health. France and the United Nations in Postwar Africa, Cambridge, MA 2018.
3 Pour une perspective complémentaire sur la figure du médecin colonial, voir par exemple Guillaume Lachenal, Le médecin qui voulut être roi. Sur les traces d’une utopie coloniale, Paris 2017.

Zitierweise:
Desgrandchamps, Marie-Luce: Rezension zu: Ognandzi, Hines Mabika: Médicaliser l’Afrique. Enjeux, processus et stratégies d’introduction de la médecine occidentale au Gabon (XIXe–XXe siècles), Paris 2017. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (1), 2021, S. 183-184. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00080>.

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